Depuis lundi, le club de plongée de Dunkerque est en pleine opération archéologique de prospection au large de Malo-les-Bains.
Depuis lundi, le club de plongée de Dunkerque est en pleine opération archéologique de prospection au large de Malo-les-Bains.
Quand on apprend que l’on va partir à la recherche d’épaves en face de Malo-les-Bains, on imagine déjà découvrir des trois-mâts en parfait état dont les ponts n’ont plus été foulés depuis l’époque de Barbe-bleue. La réalité est bien moins romanesque – quoique – et bien plus technique qu’un simple plongeon dans l’eau.
Depuis le début de la semaine, le club de plongée de Dunkerque a mobilisé d’importants moyens techniques pour tenter de localiser le remorqueur anglais Saint-Fagan et les deux barges en bois qu’il tirait durant la Seconde guerre mondiale (lire ci-après). L’opération se déroule à bord du bateau du club.
« Nous avions peut-être repéré une des barges en 2006, lance Bruno Pruvost, l’un de ses membres, passionné d’épaves. Nous sommes remontés pensant la retrouver, mais le sonar n’était pas assez précis pour détecter ce monticule de bois et de ferraille qui ne mesurait qu’un mètre de haut. »
Dès lundi, grâce à du matériel de pointe, « trois points intéressants » ont été géolocalisés sur une carte. Comprendre : des sites où le remorqueur et les barges pourraient se trouver.
On doit cette découverte au drôle d’engin qu’a ramené André Lorin, spécialiste reconnu dans le milieu : c’est lui qui a « codécouvert » l’épave de la fameuse Hermione dans les années 80.
Le chasseur d’épave s’est armé de d’un magnétomètre de pointe, composé d’une sonde que l’on immerge. Pendant que notre embarcation quadrille une zone bien précise, au large de la plage de Malo, un câble de liaison permet de faire remonter les mesures du champ magnétique terrestre que la sonde enregistre.
« Et maintenant, tout dépend d’un sacré animal qui s’appelle Windows », lance André Lorin, aidé par Bertrand Splingart, chercheur en électronique à l’Université du Littoral. La chasse au trésor se résume alors à observer un graphique sur un ordinateur.
Si un pic ou, encore mieux, une sinusoïde apparaît à l’écran, c’est gagné. « Ça y est, on a un site », lance André alors qu’une courbe se dessine. Sous nos pieds, une épave se cache sûrement. Mais la rencontre visuelle n’est pas pour tout de suite. « Il faudra refaire une demande auprès de la DRASSM (Direction des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) pour avoir l’autorisation de plonger », tempère Bruno Pruvost. Un processus long de plusieurs mois, avant de pouvoir enfin observer notre fameux remorqueur british.
Le « mag ». C’est le petit nom que donne André Lorin à son magnétomètre, appareil qui permet de mesurer l’intensité du champ magnétique terrestre. En quoi cela sert-il à retrouver une épave ?
Les épaves sont constituées d’éléments en fer (coque, moteurs, etc.). Or cet élément joue le rôle d’un aimant et a donc un effet sur la valeur du champ magnétique mesurée par le magnétomètre. Par exemple, le champ magnétique terrestre mesuré au large de Malo-les-bains est de 48 703 gammas ; cette valeur variant selon le coin du globe. Lorsque la sonde du magnétomètre passe au-dessus d’une (probable) épave, cette dernière fait gagner quelques gammas au champ magnétique mesuré et un pic se forme sur l’écran de l’ordinateur d’André Lorin. Le magnétomètre est couplé à un GPS, ce qui permet de géolocaliser les données recueillies.
Le remorqueur anglais « Saint-Fagan » et les deux barges actuellement recherchés par le club de plongée de Dunkerque ont été bombardés par l’aviation allemande lors du retrait des troupes alliés en juin 1940.
Parti le matin du 31 mai 1940 de Douvres, sur la côte sud-est de l’Angleterre, le remorqueur Saint-Fagan et les trois barges qu’il tracte arrivent en vue du port de Dunkerque vers une 1 h 30 du matin, le jour suivant. « Je pense qu’il les emmène pour livrer du matériel et des vivres », avance Bruno Pruvost, spécialiste des épaves du club de plongée de Dunkerque. Nous sommes en pleine opération Dynamo, et quelque 340 000 soldats des forces alliées (Anglais et Français), encerclés par les troupes allemandes, sont en passe d’être évacués vers le Royaume-Uni.
Après avoir fait « échouer » les barges sur la plage, à trois miles à l’est de Dunkerque, le lieutenant-commandant Warren, au gouvernail du Saint-Fagan, déclare dans son rapport* qu’à 3 h 40, « des avions ont été entendus au-dessus » de son embarcation. Un quart d’heure plus tard, à 3 h 55 du matin, le 1er juin 1940, le remorqueur anglais Saint-Fagan est bombardé par la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande.
« Une énorme explosion est survenue, le bateau s’est effondré et a coulé très rapidement. »
« Une énorme explosion est survenue, le bateau s’est effondré et a coulé très rapidement, affirme le lieutenant-commandant Warren. Je me suis retrouvé dans l’eau avec mon signaleur et mon télégraphiste près de deux barges, dont l’une d’elles coulait très lentement. »
Deux des trois barges tractées par le remorqueur anglais coulent également, la Doris et la Lady Roseberry. D’après le rapport, deux officiers et six matelots ont été sauvés sur les 25 personnes à bord. La troisième barge, The Pudge, a pu secourir les rescapés (photo ci-dessous). Finalement, « après cinq miles, The Pudge a été tracté par le remorqueur Tanga » qui passait par là. L’ensemble de la flotte arrivera sain et sauf à Ramsgate (Kent), à 11 h 50.
* Le rapport a été déniché par Johan Samyn dans les archives de la marine à Londres.